Friday, August 16, 2013

Comment comprendre l'échec des Frères musulmans



maysa abu ghannam

Croyez-moi, cela n’a rien à voir avec al-Sisi ou Morsi. Il s’agit plutôt d’hégémonie et du traitement sans ménagement infligé aux opposants politiques, une situation endémique aux sociétés en mutation. C’est simplement un conflit d’intérêts entre d’un côté, le désir incontrôlable de rester au pouvoir, et de l'autre côté le désir des opposants de revenir à ce même pouvoir.

Telle est l’Egypte et telle est l’histoire d’al-Sisi, de Morsi, d’El Baradei, d’Amr Moussa, des Jeunes Révolutionnaires et du mouvement Tamarod, chaque acteur s’efforçant de garantir la suprématie du pouvoir pour lui et d’en rejeter les autres. Je crois que c'est un peu dans la nature et que l’incitation au meurtre en accusant l’opposant de trahison ou de terrorisme, ou au nom de la liberté et de la démocratie, est tout sauf le triangle où chaque vertex représente le desir de gouverner en fonction des objectifs internes régionaux et internationaux.

Si vous retournez ce triangle, vous verez que chaque angle a le même poids, puisque chacun peut être à un moment en haut de la pyramide lorsque les autres servent de base, à l’opposé du sommet. Ce qui se passe en Egypte est un renversement armé exprimé à l’aide de slogans révolutionnaires. Les Frères musulmans ont récolté les fruits du soulèvement du 25 janvier, alimenté par la jeunesse du pays, dont le but était d’apporter un changement, un avenir meilleur, une justice sociale, le développement, la démocratie, et le plus important, de créer un espace d’expression de leur individualité, de leur créativité et d’influer sur la création de la nation et de l’Etat de leurs rêves.

Cependant, nos rêves ne sont pas toujours ancrés dans la réalité. L’islam politique a pu gagner les élections en brandissant la bannière de la religion, mais ses mouvements principaux, dont le Hamas, les Frères musulmans et leurs nombreux alliés, ne réalisent pas qu’aujourd’hui les gens ont un grand besoin de liberté (dans sa plus brillante incarnation), et qu’il n’y a pas de place pour accuser les autres d’hérésie ou pour marginaliser ou assujettir les chrétiens ou les Juifs comme cela était le cas pendant l’âge d’or de l’Islam.

La notion de califat épousée par ces mouvements a longtemps disparu de la famille des nations. Les pays occidentaux, leaders mondiaux en terme de culture, de science et de droits de l’Homme, ont réussi une fois qu’ils ont vaincu définitivement le règne de la chrétienté, représenté par l’Eglise. Seulement à ce moment-là, ils ont commencé à diriger le monde et ils ont été capable de concéder à l’Homme une valeur et un statut, alors que la religion devenait une affaire privée entre l’Homme et le Créateur. La créativité individuelle et l’ingéniosité ont pris une place centrale, et l’ « Ego », le Soi Suprême, a commencé son ascension au sein de la culture européenne.

Des choses telles que la notion d’hérésie, le meurtre de l’aîné, la punition rituelle, les rossées de coups et d’autres ont constitué les bases de l’Etat islamique, cependant elles n’ont pas lieu d’être aujourd’hui. Cela n’a pas de sens de forcer les gens à vivre aujourd’hui de la même façon qu’il y a mille ans, et si l’Etat islamique devait être établi aujourd’hui, le Prophète aurait certainement pris en compte des avancées technologiques modernes, et peut-être aurait-il eu recours aux armes chimiques et atomiques. Ou, en effet, il aurait laissé les femmes conduire des voitures seules et il aurait promulgué des lois encourageant les libertés individuelles.

Par conséquent, l’échec des Frères musulmans en Egypte est dû à l’incapacité de réconcilier la réalité tout en restant connecté au passé, une erreur de calcul qu’on ne leur pardonnera probablement pas. Leur expérience politique insuffisante et leur absence de gestion des crises, leur ingérence dans les scrutins électoraux comme si nous vivions encore à l’âge des ténèbres, ont rendu la situation en Egypte aussitôt intenable et aisément manipulable.

Mais cela ne signifie pas que cela soit les seules raisons qui expliqueraient le coup d’Etat. D’autres facteurs ont joué un rôle majeur dans la chute de Morsi et de son administration, principalement le manque d’acceptation régionale et internationale des méthodes de la confrérie. La défaillance notable des Frères musulmans a été vis-à-vis de l’idée de liberté. Ce concept est un des fers de lance du discours d’auto-congratulation au sujet de la laïcité politique en Turquie, qui a permis au Président Erdogan de rester à son poste pendant huit ans. Nous avons récemment été témoins d’une crise en Turquie, lorsque les Turcs ont monté des tentes et ont imité les protestations de la place Tahrir, à cause de la tentative d’Erdogan de mettre le cap sur l’extrémisme religieux.

Ces facteurs ont ouvert la voie à plusieurs mouvements en Egypte, dont les Jeunes Révolutionnaires et le mouvement Tamarod, pour s’opposer à Morsi. Je suis sûr qu’ils croient d’ailleurs toujours que son élection à la présidence était une bonne chose pour le paix et qu’ils continuent à le voir comme le chef légitime du peuple égyptien. Mais l’histoire nous enseigne que des choses telles que la constitution et des élections rendent leurs destinées aux mains des peuples.

Il me semble également que ce qui s’est passé en Egypte est naturel, le résultat d’une crainte que certains facteurs soient mis de côté et que leur idéologie soit délégitimisée, les conduisant à mettre un frein aux libertés individuelles (qui, pour certains, sont originellement religieuses). Mais nous devons apprécier que les sociétés arabes incluent des musulmans religieux et laïcs, des chrétiens, des communistes et juste des gens normaux, d’où le fait qu’une règle musulmane supprimant la diversité de ce melting pot ne peut que conduire à un fiasco, comme dans le cas de Morsi.

La décision d’al-Sisi de renverser Morsi n’est la première du genre dans l’histoire de l’armée égyptienne. Gamal Abdel Nasser faisait partie des leaders du soulèvement du 23 juillet contre Mohamad Naguib, dont l’une des conséquences avait été l’expulsion du roi Farouk et le début d’une ère de modernisation de l’Egypte et de panarabisme. Nasser avait encouragé la révolution dans les pays arabes, et un nombre de coups d’Etat militaires et militaro-administratifs s’en étaient suivis.

L’action de Nasser contre les Frères musulmans et les communistes à l’époque est aussi notoire. Il a notamment réfreiner leurs activités politiques en 1954 après une tentative de la confrérie d’attenter à sa vie. Sadate, son successeur, a sûrement adopté certaines de ses méthodes lorsqu’il s’est débarrassé d’un chef rebelle. Hosni Moubarak n’était pas non plus étranger à ce jeu dangereux puisqu’il a tiré profit de l’assassinat de Sadate pour progressivement se positionner lui-même comme dictateur, qui ne sera détrôné que 40 ans plus tard lors un soulèvement populaire. Par conséquent, Morsi et al-Sisi n’ont pas vraiment la carrure. Tout observateur scrupuleux des changements politiques de l’Egypte n’a eu aucune difficulté à discerner le paradigme de la prise de pouvoir politique appuyée par l’armée à la suite d’un véritable coup d’Etat. La première et dernière erreur de Morsi, j’en suis convaincu, a été d’arriver au pouvoir via les canaux électoraux classiques, dont il s’est facilement débarrassé.

Espérons que les chefs du gouvernement égyptien comprennent les bases de l’appareil sécuritaire d’Etat, et qu’ils le veulent ou non, c’est une structure gouvernementale qu’il faut prendre en compte parmi d’autres considérations politiques. L’armée est le facteur le plus fort dans l’Etat et c’est la raison pour laquelle aucun président élu n’aura la possibilité de diriger un pays tel que l’Egypte et de rester au pouvoir pour au moins quatre ans (sans parler de 40 ans comme dans le régime précédent) sans talent pour faire face et agir de concert avec l’armée.

Un Etat militaire ne sera gouverné par aucune autre force, et une incapacité à accepter cela a conduit à la défaite de Morsi et a mis fin au rêve des Frères musulmans d’arriver au pouvoir.

Maysa Abu Ghannam est une écrivaine et journaliste palestinienne de Jérusalem-est.

مقال لي حول فشل الاخوان الاخوان في مصر ترجم للغة الفرنسية
http://www.i24news.tv/fr/opinions/130811-l-armee-force-incontournable-du-pouvoir-egyptien

No comments:

Post a Comment